Pour un Internet le plus veuf possible

L’Internet ne sera jamais aussi bouleversant que ne le disent ceux qui sont résolument trop exaltés à son sujet. À force d’enthousiasmes surfaits et déplacés, il fallait bien que les moralisateurs réagissent vivement et stigmatisent une révolution dans les rapports du producteur au consommateur jusqu’aux échanges de l’artiste et du public réciproquement réduits à des négociations des plus superficielles. Voilà confirmée que les notions d’artistes et de public sont abusives et ne tiennent plus dès qu’elles doivent apparaître en tant que notions, dignes de grandes questions et de teneurs métaphysiques. Tristement, il faut parfois Internet, en plus de Thanatos, pour saisir que l’artiste et le public ne peuvent exister exclusivement l’un et l’autre. L’émergence d’un réseau des réseaux n’efface pas la frontière du créateur de formes et des cautions les recevant, elle prouve qu’elle n’a jamais été viable. Et là où le consommateur est sollicité en tant que producteur, la technologie ne saurait en finir avec l’art mais imposer plus nettement qu’il est question de circulation, que l’art ne peut concerner ni les belles âmes ni l’humanité.

Car ce n’est pas la technologie qui a tué l’humain, c’est l’humain lui-même. Et moins par sa production de machines que par sa crédulité outrecuidante aux vertus de l’humain. C’est en gonflant les âmes de bienfaisance qu’il fallait, corrélativement, les déshumaniser pour les rendre dignes de ce qu’il s’agissait de leur faire endurer : Frankenstein est un bien beau mythe quoique l’humain moderne n’ait eu besoin de la médiation de ses créatures pour, avant d’en enfanter, se suicider discrètement devant elles, en toute indépendance, faisant fi des fonctions qu’il avait programmé en elles. C’était trop se demander.

La mort de Dieu reste exemplaire : elle est bien entendu le fait des trop-croyants galvanisant Dieu jusqu’à, le suridentifiant, le dé-diviniser. De même, les modernistes avides de désacralisations, selon la cupide idiotie à vouloir remplacer les icônes, ces charognards devront s’effacer devant l’extinction du nouveau. Et cet épuisement guette plus loin que la démocratisation effrénée des allures savamment paumées ou brillamment nébuleuses. Quand tout est ravagé, il est de coutume et encore à la mode de ne pas jeter bébé avec l’eau du bain. Mais bébé est mort, comme tout le monde. Profitons de l’eau du bain et ne la décrassons pas : l’hygiène et tout autre exotisme seraient trop secs. Tout simplement parce qu’il faut faire le deuil des protectionnismes. Il faut faire le deuil de ces craintes incapables d’aimer pleinement ce dont elles ne veulent se déposséder. Tout simplement parce qu’il est bon de faire des deuils, on vit comme ça depuis quelques générations, il faut continuer à donner / dans la morale / des valeurs au rabais capitonné – et des fascismes assortis.

En général, il est vrai qu’il n’y a pas à être curieux du fascisme nouveau qui remplacera le folklore agonisant. Il suffit de surfer. Les agonies sont encore plus belles quand les infirmières sont accaparées par les maux plus bénins. Thanatos et Internet ont toujours mieux à faire.

David Christoffel

auteur de théatre, musicien, chroniqueur pour la fm - Nantes, FR

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