(emaa) est une association de fait, un regroupement de singularités quelconques (identité paradoxale, ni générale, ni individuelle, se constituant comme lien, comme espace de rapport).

(emaa) est un ensemble ouvert de potentialités singulières produisant au moyen d'instruments intellectuels ou de contenus culturels ou informatifs des espaces communs de résistance aux formes de domination; d'expérimentation et d'élaboration de socialités potentielles, de savoirs, de pratiques artistiques, politiques, scientifiques et relationnelles.

(emaa) est une zone de formation et d'information, de recherche, de production et de soutien à la production, de diffusion, de réflexion politique, de coopération artistique, de programmation culturelle; développant un travail social et culturel spécifique, axé sur une réappropriation des codes culturels, autour de projets réalisés en associations avec des personnes ou avec des groupes (formels ou informels).

(emaa) est un parlement des choses, seul capable de résister sans hair, sans dénoncer au nom d'une force supérieure à ce à quoi il s'agit de s'opposer.
Il n'est pas révolutionnaire puisqu'il existe déjà, au sens où existent les multiples réseaux où des représentants discutent, négocient, s'intéressent
mutuellement.

(emaa) appartient au présent en tant que vecteur de devenir, c'est à dire en tant qu'instrument de diagnostic, de création et de résistance. Seuls des humains y siègent, mais ces humains ne sont pas définis en tant que sujets libres, caractérisés par des convictions et des ambitions, mais comme réprésentant d'un problème qui les engage et les situe. Seuls des humains y siègent, mais ces humains ne sont pas réuni par une dynamique d'intersubjectivité : ils doivent au contraire inventer des liens, faire exister des prolongements qui ne se réfèrent à aucun intérêt général plus fort que chacun d'entre eux, mais à des intérêts nouveaux suscités par leur réunion.

(emaa) est une zone non géographique à construire, un espace de participation à l'invention. Volontairement hors-lieu, voire hors-sol, (emaa) est un locataire. Il n'est absolument pas propriétaire d'un espace symbolique ou réel. Toutefois identifiable dans l'ensemble des zones où ses projets se réalisent, (emaa) occupe temporairement des lieux où des projets sont développés. Ces lieux in situ constituent des supports d'informations, des formats d'expositions et sont considérés comme des sujets d'intervention (espace public, bâtiment, revue, radio, cassette vidéo, cd, internet, .)

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(emaa) ou une situation de relations

Il est absurde d'imaginer que les percées technologiques en train de révolutionner nos identités sociales et nos façons de communiquer laissent miraculeusement indemnes les anciennes frontières entre les domaines de la pensée. Avec les disciplines elles-mêmes, constamment redéfinies au cours de l'évolution des savoirs et la transformation des cultures, les interférences entre disciplines, leur incidence et leur nature, changent fatalement au cours de l'histoire. D'ici peu, nous trouverons sans doute aussi surprenants les regroupements professionnels et les pôles de compétences que les outils du vingtième siècle auront favorisé chez leurs utilisateurs. Dans notre manque de recul, nous passons aujourd'hui parfois à côté de collaborations prometteuses et inattendues entre les professions. Or, ce genre de rapprochement entre disciplines est révélateur de refontes et de bouleversements conceptuels, mais aussi réellement opératoires. Plutôt que de nous obnubiler devant les déferlées de la technologie numérique, nous prenons conscience d'un ensemble de processus et de révolutions qui, sur le plan des idées comme sur le plan des techniques, induisent de profonds changements dans notre façon d'appréhender le monde. Outils et oeuvres ne sont pas reliés par de simples rapports de cause à effet ; l'expression artistique n'est jamais le simple produit d'un déterminisme technologique. Ce sont aussi de nouvelles façons de voir et de concevoir qui exigent la mise en place de nouveaux outils, de nouveaux dispositifs comme (emaa).

(emaa) ou un dispositif artistique

L'art se manifeste indépendamment de toute profession et de toute validation institutionnelle. De ce fait, peu importe qu'un tel ou un tel soit "artiste" lorsqu'on apprécie telle ou telle photographie ou telle ou telle attitude. Il importe peu de constituer au préalable un artiste pour apprécier un objet. Car l'art est effectué par une singularité quelconque ou une attitude de cette singularité et non par une légitimité d'auteur. En art, il n'en retourne pas d'une légitimité mais d'une appréciation de la pensée et de la sensibilité. L'intégration d'objets (photographies, dessins, textes.) manifestant une singularité quelconque dans le marché ou le patrimoine, la transformation de ces objets en productions culturelles détruit leur spécificité d'être tout à la fois quelconques et singuliers. Car les singularités quelconques ne se manifestent pas en vue d'être intégré dans un marché des biens culturels, ou encore dans le but d'obtenir un gain ou une reconnaissance sociale, mais parce que cela fait sens pour eux et que cela les constituent individuellement ou collectivement (une singularité quelconque peut être collective), indépendamment de tout public. Les manifestations d'une singularité quelconque sont non spécifiques. Elles ne sont pas le fait d'une profession ou d'une catégorie de personnes en particulier. Elles ne sont pas non plus publiques ni marchandes, bien qu' elles puissent être collectives. Toute activité - notamment professionnelle - peut éventuellement être le lieu de manifestation d'une telle singularité.
Les frontières du champ artistique sont donc difficiles à déterminer. Au sens restreint, elles englobent les créateurs (plasticiens, photographes, réalisateurs, écrivains, etc.), les artistes interprètes et les techniciens du spectacle, ainsi que l'animation culturelle et l'artisanat d'art (fabrication de vêtements sur mesure, céramique, vannerie, etc.). Au sens large, elles peuvent inclure d'une façon ou d'une autre des secteurs d'
activité comme le travail social, la publicité, la presse, les multimédias, le journalisme, l'architecture, le tourisme, l'enseignement, l'artisanat.
Cette indétermination des limites de la pratique artistique permet la réappropriation de cette pratique par toute personne qui le souhaite.
Il s'agit alors aujourd'hui de créer un espace informel - informel signifiant ici, sans spécialisation. Cette non spécialité permet la mise en place d'une plate-forme commune entre les êtres, à caractère politique. Il s'agit de viser la généralité. Cette question de la généralité ou d'un espace sans spécialisation (l'espace urbain comme terrain d'action politique par exemple), recoupe cette autre, d'aborder l'art non pas comme activité catégorielle (ce qui est produit par des artistes) mais comme activité définie par des critères (toute personne est artiste pour autant qu'elle s' inscrit dans ces critères).
Un tel programme et ses outils de mise en oeuvre - multiplication et
décentralisation de l'offre, accroissement de la diffusion,. - sont élaborés et inventés par ceux-là même qui produisent ou vivent de la production de ces étiquettes par lesquels des objets quelconques sont transformés en objets culturellement signifiant autrement dit en productions culturelles écoulées sur un marché ou édifiées comme exemples dans les espaces institutionnels. En ce sens, les évalutations économiques de la production culturelle qui sont essentiellement destinées à appuyer des argumentations politiques ne sont d'aucune utilité pour apprécier une expérience artistique. Car l'art n'est pas issu d'une production. On ne gagne d' ailleurs rien à rapporter un objet ou une attitude qu'on pense être artistique au concept de "production" (qui se rapporte directement à celui
de "travail").
Les espaces d'art, en tant qu'ils sont liés actuellement ou potentiellement à la profession et à la professionalisation, à la production culturelle et au travail, ne peuvent de ce fait plus être qualifiés d'espace d'art : ce sont des espaces de production culturelle. Cela ne signifie pas qu'aucun espace d'art ne doive exister mais simplement que ces espaces perdent tout sens à être dédiés aux activités de professionnels dont le travail consiste à produire des objets ou des attitudes pour un marché ou pour des institutions. Un espace d'art reste tel par son indifférence aux milieux professionnalisés de la production culturelle, et par son intention de rencontrer ou de faire se rencontrer des singularités quelconques.

(emaa) ou un dispositif d'éducation permanente

Les "activités citoyennes" relèvent de la "spontanéité organisée", refusant la réglementation et les hiérarchies, et faisant ainsi contrepoids au manque d'imagination des pouvoirs établis et des institutions. Son opérativité s'appuie sur la capacité des "entrepreneurs d'intérêt public" à mobiliser des volontaires pour les projets qu'ils proposent de mener à bien. En créant ses propres zones autonomes de constitution de compétences et de savoirs, ces réseaux de transmission de données non formalisés se manifestant en dehors des structures constituées de formation des connaissance et des domaines d'expertise, en dehors des structures administratives, privées ou publiques de transmission du savoir, (emaa) s' inscrit dans cette écologie de formations "civiles" de connaissances, de sens, de lien, de réciprocité et d'autonomie. Elle rejoint de cette façon l' activité de tous ces autres réseaux inventant leurs propres laboratoires de recherche, ou leurs propres universités, produisant des recherches, du sens, du lien, de la réciprociété, de l'autonomie et de l'épanouissement avec les moyens du bord, de façon plus ou moins non réglementée et non hiérarchique.
Ces réseaux producteurs de savoirs, collectent, analysent, synthétisent, constituent des données, des interprétations du monde et des réinterprétations; ils créent des méthodes spécifiques, une épistémologie spontanée, de sens commun, une épistémologie du général. Aujourd'hui, nous sortons progressivement d'une société où le travail est la valeur fondamentale. Les nouveaux moyens de productions offerts par l' informatique et par l'internet (auto-édition pour la musique et la littérature), l'élévation générale du niveau scolaire et la valorisation d' une culture de soi, provoque la multiplication d'initiatives autonomes dans la culture.
Celles-ci se développent plus ou moins indépendamment de toute validation institutionnelle ou marchande, tout en restant précarisée elles se situent en rupture d'un désir d'intégration dans le monde du travail. À travers ces myriades d'initiatives se développent de nouveaux styles de vie, de nouvelles manières de penser et de construire le monde.
(emaa) s'inscrit dans ce contexte. L'un des objectifs par exemple de (emaa) est de mettre en place de nouvelles formes opérantes (des lieux, des personnes considérés en tant que formes et prêts à opérer) et d'activer une zone de formation, d'information, de recherche, d'expérience et d'action contribuant à ouvrir des perspectives; et accessible à toute personne intéressée, notamment aux personnes sans statut ou en voie d'inventer leur propre statut en marge des réseaux institutionnels de l'art ou de l'éducation.

(emaa) ou un dispositif transversal

Selon une approche qui se dessine aujourd'hui à la pointe de l'activité artistique et du développement technologique, la seule énergie transdisciplinaire et transversale pouvant avoir un sens dans le contexte contemporain, serait celle qui naît des médias et des réseaux de communication. Ces technologies nous ouvrent de nouvelles voies pour des échanges, pour l'apprentissage, pour la circulation des informations, nous permettant ainsi d'outrepasser et de court circuiter les instances et les institutions traditionnellement gardiennes du savoir, autrefois émettrices, grâce à cette prérogative, des seuls discours informés.
(emaa) considére la transdisciplinarité comme la caractéristique essentielle de toute activité artistique, le propre de cette activité étant de frayer
des chemins de la pensée créatrice au-delà des disciplines existantes. Elle recouvre la notion d'une rencontre entre des modes de pensées, des pratiques, des champs d'expérimentation différents pour aboutir à constituer de nouveaux territoires. La démarche transdisciplinaire est expérimentale puisqu'il n'y a pas (encore) un langage commun. En contrepartie, le danger de cette démarche serait la tentation de tout dénommer transdisciplinarité dès lors qu'il y a un échange qui peut se borner à n'être qu'un parallélisme de points de vue ou de pratiques. Comme la plupart des artistes et des théoriciens oeuvrant en marge des disciplines délimitées, (emaa) attache une grande importance à la gratuité de cette expérimentation, autrement dit, à la non obligation de résultats. En dehors du processus qui motive la recherche, processus qui peut lui-même être considéré comme le but, toute cible - l'oeuvre d'art accomplie, voire d'éventuels débouchés industriels - risquerait d'inhiber cette libre exploration et association de champs conceptuels. La situation de totale gratuité est un idéal que s'est donné
(emaa), sachant que cet idéal est aussi difficile à atteindre dans le monde étiqueté de l'art contemporain, que dans d'autres domaines d'activité.
Avec (emaa), il s'agit de convier non seulement à la transdisciplinarité ou à l'interdisciplinarité mais surtout à l'indisciplinarité, c'est-à-dire à la valorisation de la part que chacun d'entre nous possède pour l'écart. Il ne s'agit pas seulement de mobiliser des certitudes et des savoirs mais de désapprendre pour laisser place à de nouvelles visions. Il ne s'agit pas de planifier des échéances mais d'accueillir généreusement l'improbable. Pour quoi faire ? Pour réagencer l'ordre des évidences labellisées et des savoirs constitués, pour jouer avec un réel supposé connu, pour aspirer les mouvements contradictoires du monde.
En se créant comme une zone de recherche indépendante des institutions d'art ou d'éducation, (emaa) ouvre à des pratiques (indisciplinaires, interdisciplinaires et transdisciplinaires) mises en oeuvre par la co-opération. Chacun présente alors ses propres activités, les donne à connaître à autrui. Cette coopération peut aller jusqu'à former des projets à disciplines multiples articulées autour d'un objet ou d'un projet partagés par chacun. Chaque discipline vient alors résoudre en fonction de ses compétences propres une partie du projet. Ainsi viennent s'articuler de multiples niveaux de réalités. Que les artistes s'interessent à des
questions qui soient hors de leur disciplines, et inversement, que des universitaires s'interessent à des modes de pensées et à des approches ayantcours en art ou chez les artistes, est un premier pas vers une redéfinition de la citoyenneté et de la société en générale.
La conception de la citoyenneté créative défendue par (emaa) relève d' ailleurs autant d'une déontologie que d'une position proprement artistique.
(emaa) considère que la culture doit servir de terrain de rencontre et d'échanges, et non pas de terrain d'intimidation et d'exclusion. Le rôle essentiel de l'artiste est de mettre en branle de nouveaux processus, d'où pourront éventuellement émerger des oeuvres. Mais l'émergence des oeuvres reste secondaire à cette impulsion d'une dynamique transformatrice, de processus de changement, dont les effets ne se limitent pas au seul monde artistique.

(emaa) ou un dispositif politique

Parce que l'on reconnaît le régime de crise où nous vivons, nul ne peut prononcer sans honte : « nous vivons dans un seul monde ! »
Nous faisons donc le pari que (emaa) n'est pas seulement affaire de résolution locale de crise, et qu'au régime de crise que nous vivons correspond une transformation possible de la situation à travers une pratique de recherche. Cela passe par un apprentissage. Et il ne s'agit pas d'apprendre qui est l'autre, de façon à pouvoir le comprendre, l'anticiper, le mettre à sa place: ce sont là les savoirs exigés par des structures de pouvoirs. Il s'agit d'apprendre, grâce aux procédures de rencontre, comment rendre présent, présentable et négociable qui nous sommes, comment nous nous définissons, et ce qui nous attache.
Certes, la refonte de la donne sociale entraînée notamment par les technologies de l'information et de la communication est un sujet qui revient constamment chez toutes les structures oeuvrant en faveur du développement culturel et artistique. La possibilité de court-circuiter les institutions traditionnellement détentrices et conservatrices du savoir, en mettant en place d'autres lieux nomades, des carrefours ou convergent momentanément des visions et des volontés créatrices, mobilise de nombreuses structures conscientes des enjeux des formes artistiques, sociales, politiques naissantes, et conscientes de la nécessité de mettre en place de nouveaux liens sociaux pour les nourrir.
L'accélération des mouvements entre formations et disciplines, la multiplication d'activités et de "postures" chez un même individu, les revendications de créativité chez ceux qui sont chargés de développer des outils et des systèmes fonctionnalistes, appellent à revoir la place sociale de l'expert.
Les médias de communication agissent aujourd'hui comme un révélateur dans le monde culturel, accentuant et impulsant des pratiques auparavant contenues à
l'intérieur des différentes régions du globe. Cette délocalisation des énergies créatrices est déterminante pour les formes productrices naissantes. Cependant, en dehors des grands consortiums des développeurs technologiques, qui tentent de prévoir l'évolution des nouveaux marchés, peu de gens parmi les décideurs culturels semblent avoir saisi les implications de cette redistribution. Pire, ceux qui en ont pris conscience ont souvent choisi de se réfugier dans un monde culturel aux valeurs sûres, le monde du patrimoine, de la valorisation et de la bonification du passé; cela au détriment du monde contemporain et, à fortiori, du monde de demain. Ainsi on rencontre d'innombrables organisations bien loties qui, à force de porter leur regard sur la seule création d'hier, ne sont plus capables de reconnaître, encore moins d'apprécier, la nature changeante de l'activité culturelle aujourd'hui.
A travers cette observation, nous ne cherchons pas à amoindrir l'importance de l'arène d'activité qui émerge autour des institutions culturelles, mais les lieux de l'activité créatrice du siècle prochain sont encore à définir, et il est maintenant urgent de débattre de leurs modalités d'existence. La place de la culture dans la société n'a jamais été figée, mais les idées sur la place de la culture dans la société le sont encore trop souvent.

(emaa)