La fétichisation de l'art tue l'art. La définition institutionnelle de l'art, qui se focalise sur l'objet dans un processus de fétichisation, se place dans l'impossibilité de saisir le mouvement, la trajectoire qui conduit à l'œuvre. L'intérêt de l'œuvre d'art ne réside pas dans l'objet concret qui est le résultat d'un processus, mais dans le lien que cet objet nous permet d'opérer avec l'idée qui l'a généré et dont il est la trace matérielle. En nous faisant revivre le trajet d'une idée, de sa naissance à sa matérialisation, l'œuvre d'art nous propose une expérience sans équivalent et nous procure un plaisir esthétique complet puisqu'il concerne à la fois l'esprit et les sensations, le cerveau et le corps. C'est la raison pour laquelle il ne convient pas d'aborder les œuvres d'art comme des objets de consommation. Cette évidence n'en est plus une lorsque l'idéologie infiltre le monde de l'art sous les aspects d'une esthétique souriante, affirmative, relationnelle , dont la fonction est de gommer l'hétérogénéité de l'art, de désamorcer sa dimension critique.
Redonner toute son importance à l'idée au détriment de la réalisation, c'est reprendre le vieux combat que menèrent Vinci, Duchamp, et beaucoup d'autres, pour en finir une bonne fois avec la condition d'artisan, de producteur. Le rôle et la place de l'idée dans la création joue un rôle primordial dans cette émancipation car donner la prééminence à la part mentale dans le processus de création artistique, c'est ramener l'art dans l'espace privé.
L'art n'est plus, dans cette optique, une activité sociale plus ou moins laborieuse, un travail soumis à l'approbation ou à la désapprobation, mais une activité effectuée pour soi, et qui ne passe pas nécessairement par la réalisation d'objets : le libre jeu de l'esprit s'exerçant pour lui-même, gratuitement.

Joe Le Gloseur

écrivain, membre du Groupe Fictif d'Intervention Virtuelle - FR

"l'essence de l'art" par Lonesome Pat