Cette nuit là, Ghjilormina nous a parlé de nos ancêtres gravement, comme d'une réalité de toujours, inéluctable. Ainsi nous avons veillé ensemble et l'au-delà menaçant nous est apparu comme un chaos de lumière en perpétuelle révolution.
Mais quand Ghjacumu est parvenu au dolmen qui surplombe la vallée et qu'il a agrippé la pierre de ses doigts, il l'a sentie comme tiède et glaireuse.
Etait-ce une odeur de sang autour de lui ou la lourde senteur des cistes et des arbouses? Cette faille de roc, à demi recouverte de lichens humides rayonnait d'une peur immémoriale: le sacrifice rituel avait lieu à tous moments et en tous lieux du monde, Ghjacumu le savait tout à coup, et la blessure vorace s'ouvrait ici sous ses mains crispées. Très haut dans le ciel, la Grande Ourse et la Petite Ourse, évadées de l'informe terreur des origines tournoyaient lentement. Alors Ghjacumu a couru comme un fou vers le village. Et, devant nous, dans la cheminée, il a jeté au feu rageusement la peau de sanglier.
Longtemps après, à l'aube de ce matin là, Ghjilormina en souriant lui a parlé de Jacob et d'Esaü et de la lutte fraternelle des peuples errants sous le regard de Dieu.
- Ah! Ghjacumu qui t'enfuis ainsi comme un animal, contre qui luttes-tu dans la nuit où les fleuves et les astres font lever les ombres défuntes?
Croyais-tu arracher la bénédiction d'un père aveugle sous une peau de bête?
Ta mémoire est aussi la notre, et si tu n'as pas rencontré d'âme perdue sur le socle de pierre, c'est qu'aujourd'hui nous partageons ensemble la parole et la liberté. Il est bien temps de brûler ta défroque de mazzeru !
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Oui, en écoutant ces chants traditionnels, Gabriel y retrouvait l'écho, les modulations, un peu de la voix de Ghjilormina. Ils évoquaient l'étrangeté d'une nature restée sauvage, interprétée à la faveur des croyances antiques d'une communauté de veilles.
Nadine Manzagol