Interview de Tamara Laï par Joanna Leroy pour le MAC'S (Grand Hornu, BE 2021) en préparation de l'expo "Silent Noise" - extraits - Sound Feelings © Tamara LAI 2012
JL : D’une manière générale, comment te décrirais-tu, comment décrirais-tu ta pratique et quel a été ton cheminement pour arriver à faire ce que tu fais aujourd’hui ? TL : Le premier emploi que j’ai eu en tant que vidéaste (1985) c’était au Creahm (Créativité et Handicap mental) ; j’allais avec ma caméra filmer des ateliers et puis après, je devais en faire des petits reportages. Comme on avait très peu de moyens, je faisais tout toute seule et je faisais appel (...) aux télés locales pour tout ce qui était banc de montage, studios etc. Je fréquentais à l’époque le milieu de la danse contemporaine et de la performance et mes vidéos étaient axées sur le mouvement. En 1991-92, j’ai fait une vidéo « An Atomica » (spectacle d’un chorégraphe espagnol – Prod. Archipel Sud). C’était une production hispano-belge et avec cette vidéo, mon travail a été reconnu. J’ai reçu le prix 'Arts du Spectacle' du Fest. Int.du Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir à Paris. Et puis en 1994, j’ai réalisé une dernière vidéo mouvement-danse « Un temple lyrique » (Prod. Iris production – RTBF Carré Noir). Et puis là, je savais, je sentais qu’il y avait des choses qui se passaient au niveau du numérique, et je n’ai pas voulu rater le tournant. J’ai donc switché, je suis devenue infographiste free lance et ensuite webdesigner et webmaster. Dans le web art, net art, j’ai énormément développé des projets participatifs et collaboratifs et aussi des CD Roms interactifs. A un moment donné (2010), j’ai eu l’impression d’en avoir fait le tour, comme avec la vidéo auparavant, d’être arrivée au terme d’un processus. C’est ainsi que je suis repartie sur une espèce de petit road movie expérimental. C’était un cheminement en divers lieux ; c’était « Wandering ». Tous les textes, tous les poèmes qui sont dans mes vidéos depuis 2012, ce sont des poèmes que j’ai écrit auparavant pour d’autres projets, pour des projets essentiellement net art… (réunis dans le recueil « @TENDRE » 2006) J’observe beaucoup, je suis assez contemplative. Quand une scène dans la rue m’interpelle, je prends et puis après, c’est un peu comme un peintre qui aurait sa palette et toutes ses couleurs et qui par petites touches va venir et puis revenir. Il y a une vague idée globale, parfois il n’y en a même pas. C’est quelque chose qui se construit dans ma tête. Je dirais que ça dépend du moment, de mon envie, de mon humeur et puis de l’époque que je traverse aussi souvent, c’est une façon de compenser - ou de corriger - les choses qui me manquent. J’ai un besoin de nature. C’est paradoxal parce que (la vidéo) c’est de la technologie mais voilà, je ne peux pas vivre sans nature. J’ai un besoin d’harmonie et donc ces choses-là, je vais aller les chercher et puis à un moment donné il va y avoir un déclic - je suis incapable de l’expliquer - et j’aurai quelque chose à raconter. Ça, c’est quelque chose que j’aime faire, c’est raconter. Inventer des histoires et les raconter. Maintenant c’est tout sauf linéaire avec un début et une fin, ça n’est pas logique. C’est plus du domaine du ressenti. Mon art préféré, c’est la musique. La musique, ça nourrit ma vie et sur le même plan, le cinéma et la littérature. Maintenant, je ne suis pas une cinéaste frustrée parce que c’est un autre monde, c’est un autre travail. Franchement, je n’en ressens même pas l’envie. Moi je propose quelque chose, je donne à voir… C’est toujours une conjugaison complétement spontanée entre le texte, l’image, le son ; ou le son, l’image, le texte. Il n’y a pas de priorité. Je suis toujours dans la suggestion. L’idée c’est de faire naître un sentiment, une sensation chez le spectateur, pas lui dire simplement : c’est ça. Quelque part, c’est une proposition, une invitation à faire le chemin avec moi...
Conversation audio menée et enregistrée par Joanna Leroy © MAC'S (Grand Hornu, BE) 2021 |