Correspondances virtuelles
Le courrier s'accumulait ou n'arrivait pas. Je craignais de recevoir des
lettres qui ne m'étaient pas adressées. Le ciel était gris, ressemblait à un buvard, des traces d'écritures inversées s'y dissolvaient...
Inquiétude inapaisée: ne pas être cause d'inextricables problèmes
administratifs ou institutionnels; enchevêtrements, complexités, paradoxes qui animaient très loin une bulle de vide...
Je respirais avec de plus en plus de difficultés, avec des précautions absurdes... Eprouvais de singulières transformations
corporelles, empruntais des parcours de fluidités, d'obstacles savants ou incongrus, des réseaux innombrables s'y dessinaient... Je m'attardais
parfois sur des fragments de dialogues qui donnaient aux lieux une
architecture instable et mouvante ou simplement absconse.
Des travaux paraissaient en cours. Partout l'on sondait, mesurait, barrait certaines voies, étayait, cherchait d'autres accès. Les perspectives se transformaient, souvent appréhendées dans une clôture kaléïdoscopique.
Certaines lettres étaient rétives et s'égaraient encore d'impatience.
D'autres au contraire venaient s'encadrer comme des diplômes ridicules sur des façades en trompe-l'oeil d'où une jeune femme peinte aurait observé, immobile, la rue fluviale.
Des amants échangeaient des serments et se quittaient avec bonheur. On
dissipait d'antiques malentendus incrustés dans des histoires fondatrices de mythes.Chacun rêvait le rêve improbable :
Très loin un inconnu venait de résoudre une énigme qui, depuis toujours,
avait absorbé ses forces. Une énigme qui l'avait astreint toute sa vie à
l'impossible. Et celui-là, soudain délivré de sa peur, riait et pleurait... ne pouvait y croire. Quelqu'un prenait son temps pour y croire et dénouer ses mains crispées par l'angoisse.
Nadine Manzagol